Historique et Tradition

Madame Mireille Kuttel, en date du 28 février 1999 a écrit le texte suivant qui retrace l’histoire de l’association à l’attention des membres.

En ce jour festif, les descendants d'émigrés dont nous sommes se doivent de se retourner sur leurs ancêtres, leurs pères, leurs grands-pères, leurs arrière-grands-pères et leurs femmes. Ils les ont précédés, choisissant le chemin de l'exil qui était surtout celui du pain quotidien, pour assurer notre mieux-être matériel et le leur. Point n'est besoin d'un quelconque effort d'imagination pour les évoquer en ce moment où quittant, un jour de blues intégral, d'insoutenable mélancolie, non seulement un pays dans l'impossibilité de les contenir tous en son sein, mais encore le coin de terre où ils avaient pris racine, une casa qu'ils aimaient, avec un figuier contre le mur du jardin, un paysage familier, une famille, des amis, des habitudes. Ne se sont-ils pas sentis un peu floués en prenant le départ, en mettant le cap sur l'étranger qui n'était pas exactement l'Eldorado dont ils rêvaient peut-être. Ils sont partis pour un devenir meilleur. Ils ont souvent franchi la haute barrière des Alpes à pied, les reins ceinturés de la large ceinture rouge des maçons, leur boîte à outils brinquebalant sur la hanche. Peut-être chantaient-ils pour ne pas pleurer ce qu'ils laissaient derrière eux, ne ressentant pas encore la douleur de la déchirure en train de s'installer à jamais en eux.

Il leur en a fallu du courage et de l'opiniâtreté pour affronter l'inconnu, pour s'adapter à une autre langue, à une autre manière de penser et de sentir, pour admettre la méfiance que leur présence faisait naître chez les indigènes, pour encaisser parfois les traits de xénophobie dont les blessures saignent longtemps. Lorsqu'on n'est pas tout à fait d'ici et plus tout à fait de là-bas, il faut à tout prix s'adapter pour faire front. Ils l'ont fait, ne comptant ni leur temps ni leur peine pour se faire accepter et respecter. Travailleurs acharnés, ambitieux dans le bon sens du terme, ouvriers qualifiés, artisans, contremaîtres, commerçants avisés, chefs d'entreprises, ils ont avec le temps conquis une estime méritée dans le pays qui leur doit une partie de ses grands chantiers, de ses routes, de ses quartiers urbains ou périphériques. Mais, en prenant pied en terre étrangère, devenue quelquefois la leur' par le biais des naturalisations, ils n'ont pas oublié Curino, ses hameaux ou ces villages du Biellese dont je viens, la maison à restaurer avec l'espérance parfois d'y retourner vivre, ne serait-ce que pour le temps des vacances.

Et puis nous, nous sommes arrivés, devant une assiette déjà servie, comme on dit en Piémont. Nous avons mis nos pas dans les leurs, sachant que nous portions quelque part en notre chair une sorte de petit tatouage invisible marqué au sceau de notre étrangeté, à laquelle nous tenons parce qu'elle est une richesse et qu'elle témoigne de notre appartenance à deux cultures. Nous sommes allés à l'école, nous avons fait des études, professionnelles, commerciales, supérieures, universitaires en essayant parfois de nous dépasser un peu, afin d'être dignes de ceux et de celles dont nous sommes nés, dont nous sommes la trace.

Nous avons conclu des alliances avec des Suisses, des alliances heureuses et enrichissantes. La déchirure a cessé de nous faire souffrir. Nous sommes maintenant de partout, d'ici, de là-bas, citoyens du vaste monde tout en restant viscéralement attachés au pays de nos pères, qui nous voit régulièrement revenir pour y retrouver des odeurs, une lumière, un je-ne-sais-quoi de chaleureux et de champêtre qui nous sont spécifiques.

En ce jour de fête, nous pensons que nous avons une chance énorme de descendre de cette race de battants à laquelle appartenaient nos aïeux. Nous disons notre gratitude à tous ceux, à toutes celles qui habitent nos mémoires et dont nous connaissons les nostalgies, à ceux et celles dont le cran nous a aidés à traverser les ombres et les lumières de nos existences. Nous en sommes très fiers. Puissent-ils l'être de nous en ces zones mystérieuses de l'au-delà qui existent peut-être.

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